Ken Kawahara, secrétaire de la Brittany Handliners Association, a récemment interviewé Gwenn Pennarun, président de cette même association, pour faire le point sur la difficile saison de pêche qui s'achève.
Quelle est votre évaluation de la saison de pêche 2023 ?
L'année 2023 a été particulièrement difficile. Les pêcheurs de notre association dépendent principalement du bar, que nous commençons à chasser à partir de la mi-mars. C'est la fin de la période de repos biologique du bar dans le golfe de Gascogne, une mesure adoptée volontairement par nos pêcheurs.
Le début de la saison est toujours calme, il faut attendre que les poissons reviennent sur la côte et la pêche reprend en avril ou en mai. Le printemps est la période la plus importante pour nous, mais cette année, les prises ont été très faibles, bien pires que les années précédentes.
Nos pêcheurs, qu'ils soient dans le sud de la Bretagne ou plus au nord, dans la Manche, font le même constat. C'est étonnant, alors que les avis scientifiques n'ont jamais été aussi positifs et les recommandations de capture aussi élevées.
Pour compenser ce manque de bar, certains ont essayé de se tourner vers le poulpe ou le lieu jaune, mais il y a beaucoup moins de poulpe qu'en 2021, et le lieu jaune est également en déclin.
Le bar fait l'objet de mesures de gestion depuis 2016 en Manche et 2017 dans le golfe de Gascogne. La limitation de la navigation de plaisance à 2 bars par jour a permis d'endiguer les pratiques abusives de certains opérateurs. En toute logique, la situation devrait s'améliorer de part et d'autre, mais ce n'est pas du tout ce que l'on constate dans la réalité. En 2022, l'ensemble de la flotte de pêche française du golfe de Gascogne n'a même pas réussi à capturer la totalité du plafond autorisé (2446 tonnes). Elle n'a capturé que 76% du plafond autorisé, 1851 tonnes. Pourtant, les restrictions légales imposées ont été assouplies précisément pour permettre aux chalutiers et aux fileyeurs de capturer plus de bar, surtout pendant la période hivernale, lorsque le bar se reproduit...
Cette situation nous préoccupe beaucoup, car nous ne savons pas si les scientifiques se sont trompés dans leurs calculs, ou si les bars changent de comportement et de biotopes, peut-être à cause du changement climatique, ou à cause d'autres facteurs que, malheureusement, personne ne comprend pour le moment.
Et qu'en est-il des autres espèces recherchées par les doublures ?
Certains ligneurs à main ont une stratégie différente et recherchent d'autres espèces, comme le lieu jaune, la dorade ou le thon rouge, mais aucune d'entre elles n'offre le même potentiel économique que le bar. La saison de pêche de ces espèces est souvent plus courte et les prix sont plus incertains que pour le bar. Quant au thon rouge, seuls quelques ligneurs à main disposent de l'autorisation de pêche européenne et d'un quota de pêche suffisant pour le cibler, mais seulement pendant quelques mois de l'année.
Les filets à main capturent régulièrement du lieu jaune car il se trouve plus ou moins dans les mêmes zones que le bar. Dans le golfe de Gascogne, il s'agit essentiellement d'une prise accessoire, qui ne représente qu'une faible proportion de leur chiffre d'affaires.
En revanche, dans le département de la Manche, à partir d'Audierne, de nombreux ligneurs à main sont fortement dépendants du bar, représentant parfois plus de 90% de leur chiffre d'affaires. Cette dépendance était moins prononcée avant l'effondrement des stocks de bar dans les années 2010. Le lieu jaune est alors devenu une espèce de substitution pour ces pêcheurs.
Malheureusement, nos pêcheurs observent également depuis plusieurs années une diminution du stock de lieu jaune, notamment une raréfaction des gros individus, signe d'un stock en bonne santé lorsqu'il est présent. Ce déclin observé a été ignoré par les scientifiques et les politiques pendant de nombreuses années. Or, cette année, l'avis du CIEM a recommandé un moratoire complet sur la pêche au lieu jaune en Manche. Si ce moratoire devait être imposé, ce serait une véritable catastrophe pour des dizaines de ligneurs à la main, qui n'ont malheureusement pas d'alternative.
Nous souhaitons vraiment que toutes les mesures soient appliquées pour restaurer le stock de lieu jaune, mais il est vital de préserver les ligneurs à main qui sont menacés par cette interdiction, et qui ne capturent pourtant qu'une petite partie des débarquements de lieu jaune.
Nous demandons donc un plan de restauration du lieu jaune, qui doit comprendre les mesures suivantes :
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- Introduction d'un plafond annuel individuel accordée en priorité aux pêcheurs les plus dépendants du lieu jaune ET pratiquant la pêche à la ligne.
- Introduction d'un quota de 0 pour les bateaux de plaisance
- Longueur minimale accrue jusqu'à 40 cm
- Introduction d'un période de repos biologique entre janvier et mars
Quels sont vos espoirs pour l'avenir ?
Avec toutes les crises que nous connaissons depuis quelques années, c'est tout notre secteur qui est gravement menacé. Qu'il s'agisse de la crise du carburant, des captures accidentelles de cétacés, du réchauffement climatique, etc., tous les signaux d'alerte sont au rouge.
On pourrait penser que les petits pêcheurs comme nous sont mieux protégés que les chalutiers parce que nous sommes moins dépendants du carburant, que nos pratiques de pêche respectent l'environnement marin et que nous n'avons pratiquement pas de déchets. Mais la pêche est un écosystème à part entière, et si les chalutiers et autres types de navires disparaissent à court terme, rien n'assure la pérennité des criées qui nous permettent de vendre facilement notre poisson, des grossistes qui l'achètent ou des transporteurs qui l'acheminent jusqu'à nos clients finaux. Même si nous sommes entrés en conflit avec certains types de pêche intensive comme les chalutiers pélagiques ou les senneurs, nous ne souhaitons pas leur disparition, mais simplement qu'ils modifient leurs pratiques et ne ciblent plus les espèces démersales comme le bar ou la daurade par exemple.
Ce qui manque à notre secteur, c'est une vision d'avenir, qui doit bien sûr intégrer les défis techniques de la décarbonisation, mais qui doit aussi prendre en compte les enjeux environnementaux : l'état de nos ressources n'est globalement pas bon, beaucoup moins bon que lorsque j'ai commencé dans ce métier. Nous devons restaurer les ressources halieutiques et la biodiversité marine dans son ensemble si nous voulons que nos enfants puissent prendre le relais.
Pourtant, de nombreux jeunes pêcheurs sont motivés et prêts à prendre la relève, notamment dans notre segment de la pêche artisanale. Mais ces jeunes sont très souvent confrontés à de nombreux problèmes, tels que le prix des navires, la disponibilité des droits de pêche et des quotas, qui sont souvent entre les mains des plus gros navires.
Mon souhait pour l'avenir est que nous puissions aider ces jeunes à démarrer dans de bonnes conditions, à la fois en termes de droits de pêche et de ressources saines que nous aurons contribué à restaurer.